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Interview avec DIRTY SOUND MAGNET

 «  On fait du creative rock ! »

Dirty Sound Magnet, power trio de rock psychédélique-progressive-blues venu tout droit de la Suisse, pas forcément le pays le plus attendu en rock, devait se poser à Paris le 6 avril dernier à Petit Bain. C’est finalement le lendemain qu’ils joueront pour cause de Seine en crue. L’occasion pour K-RPM de vous présenter ce groupe en live et avec Stavros Dzodzos (guitare-chant) en interview pour un échange passionnant après le concert, entre spiritualité et religion de la musique et comment réussir malgré l’adversité.

Bonjour Stavros, comment ça va ? Bien et toi ? Super merci ! Contents d’être à Paris ? Très très content oui ! D’avoir eu une journée de plus ? Ouais du coup on n’a même pas pu faire du tourisme hier parce que c’était déjà très short en timing mais on est allé voir un concert, notre concert étant annulé, on est allé en voir un autre ! Vous étiez déjà venus ? On a joué au Supersonic oui je crois que c’était pendant le covid (NDLR avril 2022).

Pour situer un peu, qui êtes-vous et d’où venez-vous ?

On est Dirty Sound Magnet, basés à Fribourg (Suisse) mais multiculturels je dirais, Maxime le batteur est pur Suisse, Marco le bassiste est Italien-Suisse et moi je suis moitié Grec moitié Hongrois.

Et si vous deviez décrire votre style en 2 mots ? Challenge !

Creative rock ! Ça veut dire du rock sans limites, on se laisse la liberté d’aller où on veut. Si maintenant tu me dis « énumère les styles » je te dirais que c’est psychédélique, progressif, blues, funky, expérimental, voilà avec plus de mots. Mais creative rock ça me dit bien.

Et challenge relevé ! J’ai lu dans votre dossier de presse que votre musique était « une fusion de l’énergie et de la virtuosité

Caroline Landré interviewing Stavros Dzodzos of Dirty Sound Magnet

instrumentale de Led Zep, de l’énergie brut d’Iggy Pop et du mysticisme des Doors », on peut dire que vous n’avez pas peur de la comparaison ! J’avoue qu’en vous voyant en live j’ai compris.

Iggy Pop je ne sais pas d’où ça vient, peut-être l’attitude ? En tout cas moi mon groupe favori c’est Led Zeppelin.

Pour autant votre nouvel album Dreaming in Dystopia (sorti fin 2023) est un peu différent des autres, plus éthéré, plus aérien, plus psyché que rock, pourquoi être partis dans cette direction ?

Parce qu’on fait du creative rock ! C’est-à-dire que tout est possible, avec chaque album on peut aller dans la direction qu’on veut. Je dirais que le premier album Western Lies est vraiment expérimental, le deuxième transgénique et progressif, DSM III c’est du blues rock un peu fou, psychédélique et celui-ci c’est presque folk, en fait c’est plus doux. En fait avec DSM III on les a enregistré à peu près en même temps, et DSM III on avait besoin d’exprimer toute la rage, le côté folie qu’il y avait pendant la pandémie. Et avec Dreaming in Dystopia c’est l’album de l’espoir, la lumière voilà ! Du coup c’est comme tout dans la musique ce sont les contrastes, on aime bien le silence, l’énergie …

Maxime Cosandey Dirty Sound Magnet drummer Brian Downie Photographer

Est-ce qu’il y a un message derrière cet album ?

Oui c’est rêver malgré la dystopie, c’est-à-dire que tout peut aller mal autour de toi, avec la musique tu peux toujours rêver, il est là le message d’espoir. C’est qu’il y a beaucoup finalement de paroles assez sombres dans ce disque mais tout ça entaché de quelque chose de positif, d’espoir.

Caroline Landré interviewing Stavros Dzodzos of Dirty Sound Magnet

 

Quand l’avez-vous enregistré, sachant que si j’en crois vos dates de tournée vous avez passé les 2 dernières années sur la route, de l’Europe au Mexique en passant par les US ?

En fait pour la plupart des gens la pandémie c’était le cauchemar et pour nous c’était la période où tout s’est créé en fait. On tournait déjà beaucoup avant et c’était difficile, c’est dur avec le rock aujourd’hui, on est un groupe suisse en plus donc on a pas ce petit boost quand tu es un groupe anglais, américain, australien, tout est plus difficile. Pendant le covid le premier truc qu’on a fait c’est qu’on a enregistré une session live qui s’appelle Live Alert et ça a aidé à faire connaitre le groupe parce que les gens ont enfin pu voir comment on joue en vrai. Il y a des vidéos, c’est une session live filmée, il y a aussi un album, et ça a vraiment aidé le groupe à se faire connaitre au niveau international. On a fait Live Alert, vu qu’on avait le temps. En même temps on a enregistré DSM III et juste après on a enregistré Dreaming in Dystopia, donc tout ça en l’espace d’une année, c’était extrêmement productif ! Je pense qu’en une année j’ai écrit l’équivalent de 2-3 autres albums donc on a assez de morceaux pour le reste de notre carrière (rires). C’est vraiment une période hyper hyper créative.

Et en même temps on a appris plein plein de choses, on a appris comment vendre le groupe, comment faire exister le groupe à pleins de niveaux et du coup avant la pandémie on était un groupe inconnu, après la pandémie on a commencé à tourner et à avoir du public partout en Europe, on a été au Mexique, on était hyper surpris, on est allé l’année passée pour la première fois, on sort du bus et 6 heures avant le concert les gens nous attendaient déjà ! Il y avait la queue et je me demandais s’ils allaient voir Metallica ? Et non c’était pour nous ! (rires) C’était incroyable, ils connaissaient les paroles par cœur, c’était surprenant.

Mais comment c’est arrivé jusqu’au Mexique ?

Grâce à la session Live Alert, qui a commencé à se partager, ensuite DSM III qui est l’album qui je dirais a le mieux marché. Et là avec Dreaming in Dystopia qui est justement encore différent, ça nous permet d’avoir encore un autre public. Il y a même une ballade dessus, Lonely Bird, et grâce à ça des gens qui n’écouteraient même pas de rock vont venir nous écouter.

Finalement pendant longtemps j’ai trouvé que c’était notre plus grande force mais aussi notre plus grande faiblesse de faire ce « creative rock » parce que aujourd’hui tout doit être dans une case, pour que les gens sachent ce qu’ils vont écouter. Donc c’était notre plus grande faiblesse pendant longtemps parce qu’en fait personne n’écoute du « creative rock », ça n’existe pas ! On faisait une musique qui n’existait pas pour les gens, et du coup c’était très dur de la vendre. C’était notre plus grande faiblesse mais maintenant c’est notre plus grande force parce que ça nous démarque de tous les autres groupes, d’être différent. Donc oui ça prend longtemps, il faut gagner fan par fan… Par exemple si tu prends un groupe de death metal mélodique, les mecs qui écoutent du death metal mélodique, comme c’est niché, s’il y a un concert de death metal mélodique à un endroit, ils vont aller voir ce concert même s’ils ne connaissent pas le groupe. Donc c’est plus facile de commencer comme ça. Pour nous, on ne peut même pas vraiment décrire ce qu’on fait donc c’était un peu la difficulté au début.

Mais les épreuves que tu as sur ta route finalement ça te rend plus fort : le fait qu’on ne trouvait pas de concerts parce qu’on est Suisses, qu’en Suisse personne n’écoute du rock, au début c’était frustrant mais ça nous a permis de travailler dix fois plus qu’un groupe anglais parce qu’on s’est enfermé dans notre local de répétitions et voilà, dans l’adversité tu te construis encore plus fort. Donc finalement j’aime bien ce parcours parce que ça nous a permis de nous trouver nous-mêmes.

Le titre Melodies From Distant Shores qui ouvre l’album annonce cette couleur psychédélique et nous emmène presque dans un rêve chamanique, confirmé avec la vidéo. Comment vous l’avez travaillé pour le live, comment rendre cette ambiance planante ? Je m’attendais presque à un stand d’ayahuasca ! (rires) Tu as un peu ce côté chamane sur scène aussi qui nous embarque très très loin …

Ça s’est développé au fur et à mesure. Tout vient du morceau Body in Mind qui est sur DSM III, c’est en fait une blague à la base. A l’époque de Body in Mind il y a eu cette hype pour la spiritualité, tu vois, les gens qui perdent un peu foi en leur religion et qui regardent vers la spiritualité indienne etc… Et moi je n’ai jamais aimé ce qui est à la mode, moi quand tout le monde écoutait du hip hop j’écoutais du rock,  je ne voulais pas faire comme tout le monde. Du coup en voyant des gens pas du tout spirituels commencer à devenir spirituels, j’ai écrit ce morceau Body in Mind où le protagoniste essaie de draguer des

filles en se disant hyper spirituel, hyper connecté tout ça … Et en fait à force de faire ce morceau sur scène, j’ai incarné le personnage et c’est devenu « pour de vrai ».

Je l’ai toujours un peu eu en moi quand même parce que j’ai toujours aimé les Doors et pour moi la musique c’est quelque chose de tellement magique, de tellement profond… Dans nos paroles il y aura des critiques sur la religion mais finalement le thème de la spiritualité sans m’en rendre compte a toujours été là, sur chaque album. Et au final j’ai compris que ma religion c’est la musique ! En fait pour moi, la musique c’était vraiment l’accès vers ce quelque chose qu’on peut appeler le sublime, qui dépasse notre conception humaine et c’est pour ça que je n’étais pas religieux, que je n’avais pas besoin de ça et parce que dans la musique je trouvais toute cette spiritualité sans m’en rendre compte, dès un très jeune âge, un monde vraiment magnifique et magique. Pour moi la musique c’est quelque chose de sain, c’est la clé pour que les gens s’aiment ! Tu vois, on va à l’autre bout du monde, au Mexique, et on arrive à communiquer avec ces gens parce qu’ils ont la même passion que nous. Et si on veut trouver une religion où les gens ne s’entretuent pas, c’est la musique, parce que les gens ne peuvent que s’aimer !

Stavros Dzodzos of Dirty Sound Magnet by Brian Downie Photographer

Vos artwork sont particulièrement colorés et avec une certaine continuité. Qui en est à l’origine ? On retrouve aussi le trou de serrure déjà présent dans vos précédents artwork, votre logo, quelle en est la signification ? Ça me fait penser à Alice au Pays des Merveilles, une invitation à entrer dans un monde parallèle …

C’est un peu ça, il est sur chaque album, d’ailleurs c’est notre batteur Maxime qui fait les pochettes. Le trou de serrure signifie justement l’accès vers ce monde, cette spiritualité. Finalement il est toujours là parce qu’il représente ce monde qu’on vénère, ce côté sacré parce qu’à la base nous on est des fans de musique, avant même de la faire.

C’est aussi parce qu’on était des petits  Suisses qui ont pas accès à cette scène, il n’y a pas de groupes en Suisse donc c’est un rêve. Les mecs de Birmingham, Black Sabbath, Led Zep, finalement ils viennent tous de là-bas, c’est beaucoup moins magique que pour nous. 

La première fois qu’on a joué à Londres c’était magique ! J’étais tellement stressé que j’ai dit « euh euh Good evening New-York » ! (rires) Ca fait le petit paysan qui vient d’arriver, c’est vraiment Rastignac dans le Père Goriot.

La Suisse n’est pas le pays le plus reconnu pour son rock, passé Stephan Eicher et peut-être Krokus ou Young Gods pour les plus férus ou les plus frontaliers d’entre nous. Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas plus d’artistes suisses dans le paysage européen voir mondial ? Est-ce qu’il y a des difficultés particulières ? Vous-même êtes aujourd’hui sur un label australien bien éloigné de votre Suisse natale …

Pffff on fait ce qu’on peut ! (rires) Krokus c’est du hard rock des années 80 donc c’est dur de comparer, c’est un autre monde. Young Gods on les connait personnellement, eux ils ont fait quelque chose, ils ont quand même créé un style de musique, un mouvement, le rock industriel donc eux ils ont réussi à faire quelque chose d’international, mais c’était dur pour eux aussi parce qu’ils sont Suisses donc du coup tu ne te rattaches à rien.

Et ils ne sont pas hyper connus non plus.

Non pas hyper connus. Nous notre objectif c’est d’exister dans ce monde où la musique live se perd, où justement notre idéal de musique n’existe plus trop, où la musique devient très synthétique… En fait la musique représente toujours son temps : on est dans un monde robotisé, dans un monde assez déshumanisé et du coup, c’est combat idéologique presque qu’on fait, c’est les croisades ! Ah tu vois le côté religieux… mais les croisades de l’amour voilà ! Il y a un combat idéologique dans le fait de ramener l’émotion, la profondeur, la beauté, le live, ce qu’il se passe en live, joué par des humains pour des humains, ensemble. Et puis ça se perd tellement… 

D’ailleurs on est pas bookés en festival parce que pour eux c’est du rock, ils se disent que c’est du hard rock avec des grosses guitares mais ça n’a rien à voir ! mais eux ils ont ce cliché là et ça s’arrête la. Alors que le rock permet une telle richesse, une telle expressivité, que peu de styles permettent je trouve. Dans le reggae tu as des codes, le rock n’est pas une musique codifiée, c’est hyper cool. J’adore cette période 60-70, parce que justement c’était du creative rock à ce moment : tu écoutes  les Doors, il n’y a personne qui sonne comme les Doors, et ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, c’est ça qui est hyper cool. Tu écoutes les Beatles, chaque album est différent, Led Zeppelin voilà c’est le groupe de la magie, avec chaque album c’est un autre univers et en fait ça c’est un idéal musical qu’on veut continuer, c’est ce qui nous fait rêver.

Comment vous êtes arrivés à sortir de Suisse alors ?

C’était hyper difficile, là je vais parler plus de management. On a vu que la musique ça ne suffisait pas, tu pouvais faire la musique que tu voulais mais ça a pris un peu de temps, alors il fallait trouver des idées. Une des idées ça a été de créer un faux manager au début. J’écrivais des mails comme Derrick Rodriguez, je me faisais passer pour un manager assez riche et je parlais avec des Hollandais au téléphone, sans avoir aucune idée des termes techniques. Et en fait j’essayais « ouais ouais je suis à Zermatt avec ma famille dans notre chalet et tout tu vois… » et c’est

comme ça qu’on a réussi à tourner aux Pays-Bas, à sortir de Suisse. Aussi au début on acceptait tous les concerts, c’est-à-dire tu nous faisais jouer dans les toilettes, tant qu’on pouvait jouer pour nous c’était ça, c’est la scène qui nous a forgé…

Caroline Landré interviewing Stavros Dzodzos of Dirty Sound Magnet. Photo by Brian Downie

Vous êtes clairement un groupe de scène…

De tout, de scène, de studio. C’est infini la musique mais on s’est forgé beaucoup sur scène oui. Et sur scène il n’y a pas de mensonges, beaucoup de gens disent « j’ai écouté ça et c’est moins bien en concert qu’en studio » parce qu’en studio tu peux tricher, tu peux rééditer, on en revient au monde où tout est robotisé : tu peux tout perfectionner mais en live après il faut montrer ce que tu sais faire de vrai. Dans notre cas, on essaie de réussir à recréer le live en studio, et on essaie de ne pas tricher, de ne pas éditer, de garder la musique hyper naturelle.

Le chemin est encore long mais il ne faut pas se comparer. Comme on est pas américains on ne sera jamais dans le showbiz. Mais est-ce qu’on veut être dans le showbiz ? Parce que quand tu es dans le showbiz, ton label te dit ce que tu dois faire. Alors que nous on a la liberté de faire la musique qu’on veut. C’est une liberté que peu de groupes ont eu dans l’histoire de la musique, parce que tu risques de rester hyper underground. Nous là on peut commencer à tourner, tourner dans des bonnes salles et faire comme on veut, et je pense que c’est de ça dont a besoin le public aujourd’hui, c’est de voir un truc qui est finalement hyper artisanal et ce coté là je le trouve très sain. Je trouve très sain qu’on doive faire nous même du booking, qu’on doive faire le management, parce que c’est notre projet, ça reste humain et du coup c’est hyper connecté. Tout ce qu’on fait, que ce soit du management, du booking reste connecté à la musique.

C’est notre groupe à nous, on l’aime, on aime la musique en général et par-dessus tout et du coup depuis le début, depuis qu’on est adolescents, on se disait « pas de plan B ». Dans notre tête c’était ça, on savait, « pas de plan B », un peu inconscients, un peu naïfs, très rêveurs mais finalement tu ne peux pas faire autrement. Soit tu es toujours « oui on verra, c’est trop difficile … »  soit tu donnes tout. On a enchainé les échecs encore et encore et voilà aujourd’hui c’est que du plaisir parce que tu as lutté pour obtenir ce que tu veux. Imagine si à 20 ans t’es déjà en train de tourner dans des hyper grosses salles et t’as rien eu à faire pour ça, qu’est-ce que tu fais, comment tu fais ton deuxième album alors que tu as déjà tout et que ça te monte à la tête ?

Alors que nous on apprécie chaque moment, chaque concert, même s’il y a un concert avec moins de monde. Pour nous la qualité n’est pas proportionnelle au nombre de personnes, qu’il y ait 50 ou 500 personnes. D’ailleurs je pense même que quand il y en a trop tu ne peux plus transmettre de manière autant intime. Voilà le mot de la fin !

Merci Stavros pour cet échange !

Interview par Caroline Landré – Photos par Caroline Landré et Brian Downie

Dirty Sound Magnet. Photo by Brian Downie